Revue de presse : Droites extrêmes: La chasse est ouverte

LIBERATION – 28 FEVRIER 2018

Droites extrêmes: La chasse est ouverte

Par Tristan Berteloot — 28 février 2018 à 21:06

 En vue des élections européennes de 2019, le FN cherche discrètement à rallier des personnalités extérieures comme Nicolas Dupont-Aignan. En plein doute depuis la dernière présidentielle, Marine Le Pen se retrouve sur le même créneau que Laurent Wauquiez ou Florian Philippot.

 

Droites extrêmes: La chasse est ouverte

L’affaiblissement du FN après ses vestes à la présidentielle puis aux législatives, conjugué à la prise de pouvoir chez Les Républicains d’un Laurent Wauquiez à droite toute, donne de plus en plus de crédit à un scénario où les deux formations, loin de s’allier, vont se disputer férocement le même bifteck électoral. A fortiori aux prochaines élections européennes, alors que Marine Le Pen ne fait plus de la sortie de l’Union européenne un préalable à tout et que le parti LR de Wauquiez s’annonce eurosceptique comme jamais.

A la dernière présidentielle, cette droite extrémisée ajoutée à la droite la plus souverainiste et à l’extrême droite frontiste, cela pesait environ 40 % dans les urnes. De quoi aiguiser les appétits. Et pousser Wauquiez, Le Pen, Dupont-Aignant et Philippot à racoler sur le même trottoir, celui du populisme identitaire, europhobe et antisytème.

Tout ce beau monde a besoin de «s’élargir» pour exister, mais pour Marine Le Pen et le Front national, la question apparaît encore plus vitale, tant cette nouvelle donne concurrentielle cantonne la leader du FN à un rôle plus secondaire. Alors, depuis qu’il a largué Florian Philippot à la fin de l’été, son parti est passé de la stratégie de la «dédiabolisation» à celle de la «coalition» (au FN, on dit aussi «désenclavement»). Il chasse bien sûr à droite, parce que c’est là que «se trouve le potentiel électoral actuel», mais a besoin, pour marquer les esprits, d’un symbole fort : l’annonce du ralliement d’une personnalité médiatiquement identifiée à défaut d’être politiquement un poids lourd. Et ce en vue des européennes de mai 2019, la prochaine grande élection et un scrutin habituellement porteur pour le parti d’extrême droite, qui avait fini en tête en 2014.

«Respecter ses alliés, c’est être discrets»

Qui par exemple ? Le nom de l’ancien ministre UMP des Transports, Thierry Mariani, marginalisé à LR, tourne pas mal. «Il fait partie des gens avec qui on parle», assure une source frontiste. Egalement sur les tablettes frontistes : l’inconnu Bruno North, du petit parti Cnip (Centre national des indépendants et paysans), l’ex-LR Nicolas Dhuicq ou encore Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate, qui fut candidat à la primaire de la droite en 2016… Difficile d’en savoir plus : «Personne n’est vraiment chargé de cette mission chez nous, on est ouverts à toutes les bonnes volontés qui peuvent nous faire gagner», affirme un cadre frontiste. Il ajoute : «Respecter ses alliés, c’est être discrets dans nos contacts.»

Le FN a pensé également à Nicolas Dupont-Aignan (NDA), évidemment. Le président de Debout la France (DLF) grimpe pas mal en ce moment dans les sondages (+ 5 points d’opinions favorables chez les électeurs de droite, + 19 chez les sympathisants FN, selon BVA). Depuis le soutien de NDA à Le Pen dans l’entre-deux tours de la présidentielle, le contact a été entretenu et le parti d’extrême droite aimerait bien transformer l’essai. Et puis «il est rassurant pour une partie de la droite», dit-on au FN. Manque de pot, l’homme, qui se plaît à jouer «l’indépendant», fait maintenant la fine bouche. C’est que, depuis son «geste sacrificiel» de mai, Nicolas Dupont-Aignan n’entend parler plus que du Front national. Il aimerait bien exister davantage par lui-même.

Mais le mouvement lepéniste en veut plus. L’opération de l’époque est un précédent dont il doit maintenant récolter les fruits. Alors il tente le passage en force. Exemple le 14 février, jour de Saint-Valentin, quand le député Sébastien Chenu, porte-parole du FN, est allé balancer sur LCP que son parti et NDA allaient peut-être bientôt se mettre d’accord pour une liste commune aux européennes. L’annonce a sonné comme une façon pour les marinistes de montrer, à ceux qui seraient tentés, combien ils restent attrayants malgré leur déconvenue présidentielle…

L’initiative a rendu Dupont-Aignan furax. Depuis des semaines, lui répétait partout que non, il n’est pas vraiment question d’une quelconque alliance avec ses copains frontistes aux prochaines élections. Pour l’instant, l’homme se voit davantage en grand architecte du carrefour des droites (le bifteck dont on parlait tout à l’heure) qu’en petit supplétif du parti frontiste. Leur pas de deux en 2017 ? Une simple «union libre» selon celui qui se dit «pas destiné à devenir numéro 2 du Front national». Seulement Premier ministre si le parti d’extrême droite était arrivé au pouvoir…

«Franchir un seuil»

Ce refrain, Dupont-Aignan l’a répété cent fois à Le Pen, mais la présidente du FN fait semblant de ne pas imprimer. La dernière fois, c’était au cours d’un déjeuner, mi-décembre, où la dirigeante frontiste a de nouveau proposé à NDA qu’ils y aillent ensemble en 2019 : «Je l’annonce dès ce soir ? Ça aurait de la gueule.» La dirigeante du FN est justement invitée le soir-même au 20 Heures de TF1. Mais Dupont-Aignan le lui interdit : «Ça n’arrivera pas, et si tu le dis, je démentirai aussitôt.»

Dommage pour le Front. En pleine «refondation» – et en plein doute -, une telle annonce lui permettrait de se rassurer, alors que les adhésions sont en chute libre, que la rénovation tarde à se faire sentir et que les européennes approchent. Si le parti y va en solo, il aura l’air incapable de rassembler. Or à ces élections, il veut «franchir un seuil», ce qu’il ne pourra faire sans ralliements. «Est-ce qu’on préfère 20 députés mais tous FN ou 33 mais avec plusieurs sensibilités ?» fait semblant de s’interroger un cadre frontiste selon lequel l’urgence est de «créer les conditions d’un rassemblement». A Debout la France, ce cadre a une autre lecture : «Le problème, c’est que, dès que tu ouvres un peu la porte, [les frontistes] se jettent dessus pour en faire une info. Parce qu’ils n’ont rien d’autre à dire. Tout contact est pris comme un échange officiel. Et puis à l’inverse, si tu es réticent, tout devient dramatique. Dès qu’on dit « non » à quelque chose, ils se vexent, d’un seul coup, on ne « les aime plus ».» Le 14 février, Chenu aurait surinterprété sa courte discussion quelques heures plus tôt avec Dupont-Aignan dans les couloirs de l’Assemblée. Pourtant, assure-t-on à DLF, «Le Pen nous a promis qu’elle a déjà poussé une gueulante devant ses équipes pour dire qu’il fallait arrêter de nous emmerder en disant que l’alliance était quasi faite».

Dupont-Aignan est allé se plaindre auprès de Le Pen. S’ensuivit une discussion d’une heure durant laquelle la patronne du FN a (encore) proposé au dirigeant de DLF qu’ils se mettent en queue de liste aux européennes, avec en tête quelqu’un de la société civile. Qui ? On ne saura jamais, l’idée serait repartie comme elle est venue. C’est surtout que «Le Pen ne veut pas que Dupont-Aignan soit élu, parce qu’elle a peur que ça le mette sur orbite pour 2022», croit savoir un cadre du Front national. Analyse un peu différente chez DLF : «Dans un moment de grande fragilité interne, Marine Le Pen tente de rallier pour montrer qu’elle maîtrise quelque chose.»

«Allier sans rallier», c’est toute la problématique de la nouvelle stratégie frontiste. Pour l’instant, Dupont-Aignan se rend désirable, mais en réalité, le député de l’Essonne ira seulement s’il a la garantie que la coalition future est «équilibrée», qu’elle «regroupe un grand nombre», et «aussi des LR».«L’idée, c’est de créer une dynamique, pas un remake de 2017, encore moins un tête-à-tête», raconte un proche. Surtout, la «coalition» ne doit pas être «estampillée FN».

Problème : ça, ça n’est pas vraiment dans la culture du parti d’extrême droite. «Quand elle se sent insécurisée, Marine Le Pen a tendance au rabougrissement, à l’inverse d’un Sarkozy qui, lui, quand il était en difficulté, cherchait toujours à s’ouvrir pour inverser la tendance», dit un proche de la dirigeante frontiste. «Le FN est aussi plus naturellement dans le nombrilisme et les tentatives d’absorption, dit un autre. Et puis on n’a pas vraiment montré ces derniers temps qu’on respectait ceux qui ont travaillé avec nous. Quand on dézingue Philippot, on se fait plaisir, mais on donne une image désastreuse à l’extérieur.» Très autocentrée, très agressive, très «petit chef» à qui on ne dit pas «non».

Pour tenter de gommer cette image, Marine Le Pen se montre en ce moment un peu moins dirigiste qu’à son habitude. A l’écouter, le Front national serait devenu en deux mois un parti ouvert, pourquoi pas même à l’idée de changer de présidente : «Si les sondages et surtout les adhérents considèrent que quelqu’un d’autre que moi est mieux placé pour rassembler, ça ne me pose aucun problème», a-t-elle affirmé mardi sur France Inter. Message à ceux qui seraient tentés de franchir le Rubicon en la rejoignant : j’ai changé.

Tristan Berteloot