L’inscription de la protection de l’environnement dans la Constitution, sanctionnée par un référendum, est actuellement en discussion au Parlement, l’Assemblée nationale d’abord, le Sénat, ensuite. D’après la proposition du président de la République, il s’agirait de compléter l’article premier de la Constitution par cette pétition de principe : « La République garantit la préservation de l’environnement et la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Ce n’est pas un simple additif qui s’inscrit dans l’air du temps et, si l’actuelle crise virale n’absorbait pas toute l’attention des médias et n’oblitérait la réflexion de l’opinion publique, on assisterait à un vrai débat et à un véritable affrontement entre les tenants de la primauté du politique et celle du judiciaire
Le pouvoir judiciaire comme garant de la protection de l’environnement
En l’occurrence, le texte proposé donne en toutes circonstances le dernier mot au pouvoir judiciaire. En effet, qui déterminera qu’un projet quelconque enfreint, ou non, la préservation de l’environnement ? Qui reconnaîtra le maintien de la diversité biologique ? Qui décidera qu’une autorité ou qu’une collectivité territoriale agit pour lutter contre le réchauffement climatique ? Les juges ! Les juges, saisis par les associations inscrites comme défenseurs de l’environnement… Les juges qui s’appuieront sur les avis des « experts ». Un expert, c’est un scientifique, tout à fait compétent dans la partie qui est la sienne, mais l’est-il pour la complexité d’une société ? On peut être pointu en matière de biologie, de météorologie, de toutes les sciences proches de l’écologie et ne rien comprendre aux exigences des rapports économiques et sociaux… Le politique, l’homme politique, quant à lui, doit tenir compte de tout, y compris des engouements soudains d’une population plus ou moins manipulée par les médias et une starlette suédoise qui entreprend le tour du monde à l’assaut des pouvoirs politiques, pourtant représentatifs des peuples.
Un référendum comme prétexte
Et c’est là que réside le danger. En constitutionnalisant la pétition de principe du projet soumis à référendum, on donne aux juges la faculté de censurer a posteriori n’importe quelle politique suivie par l’État ou une collectivité et cela veut dire que l’on paralysera tout dirigeant. Et cette possibilité découlera d’un référendum qui sera adopté probablement largement car quel citoyen-électeur oserait s’opposer à la protection de la terre, de l’air, de la vie ? Il ne pourrait s’agir que d’un référendum-plébiscite qui ne conduirait, avant les élections présidentielles de 2022, au président Macron qu’à utiliser politiquement un score flamboyant de « oui » (avec probablement un nombre important d’abstentionnistes, mais la démocratie française en a pris l’habitude). Ce référendum sera-t-il compatible avec les conséquences de la crise sanitaire ? S’agira-t-il d’un « ballon d’essai » de vote à distance ? (sous le prétexte fallacieux d’intégrer la population jeune à la vie démocratique). Il est probable qu’il sera plus simple de mettre en place ce type d’élection que d’organiser les élections des représentants des collectivités territoriales, régions et départements. La modification de la Constitution ne semble donc être qu’une formalité politique, dont le bénéfice sera exclusivement destiné à la réélection d’Emmanuel Macron.
L’élargissement du principe de précaution
Bien évidemment, la défense de notre planète est essentielle. Il est nécessaire de rechercher le développement durable et le respect de la nature, mais faut-il pour autant ne rien faire, ne rien entreprendre de crainte que les juges ne viennent sanctionner les initiatives politiques ?
Prenons l’exemple des éoliennes : en apparence, l’éolien coche toutes les cases de la bien-pensance écologique, mais ce qui est vérifié pour les modestes installations individuelles devient contestable avec les aérogénérateurs géants et, surtout, leur multiplication à l’excès, destructrice des paysages. Outre l’inconvénient de l’intermittence et le corollaire d’un obligatoire recours aux autres modes de production d’électricité, il y a dans l’éolien à la fois un engouement écologique certain, mais contestable, et une absurdité qui devra être sanctionnée par les juges quand la pratique en sera devenue exorbitante.
Le caractère mécanique et obligatoire du futur article premier de la Constitution interdit tout progrès fondé sur l’expérimentation. Il responsabilise à l’excès n’importe quel dirigeant, chercheur, entrepreneur.
Nous avons vu que le principe de précaution mal appliqué entraînait des ratés ou des retards désastreux : l’affaire toute récente du vaccin AstraZenica en est la preuve. La question n’a pas été de savoir s’il était dangereux, mais uniquement d’ouvrir le parapluie (jurisprudence dite du « sang contaminé » dans les années 1990) dans le cas où… On a arrêté son emploi, pour quelques jours seulement. Supposons que ce vaccin anglo-suédois se révèle à l’usage dangereux, faudra-t-il, au nom du principe de précaution, traduire en justice ceux qui auront pris la décision de l’utiliser ?
Transposons ce principe : la perspective d’utiliser l’hydrogène dans le transport nous paraît souhaitable et écologiquement recommandable, mais peut-être que son usage pour les véhicules routiers peut présenter des dangers. Ce qui ne serait pas le cas pour les navires et le ferroviaire… Au nom du principe de précaution va-t-on hésiter à promouvoir l’hydrogène ? En vertu du futur complément de l’article 1 de la Constitution, va-t-on menacer de poursuites ceux qui auront pris la décision de se lancer dans cette nouvelle technologie dans le cas où elle se révélerait dangereuse sur route ou pour l’environnement ?
Le risque comme mesure de la vie
La vraie question à se poser est de savoir si la Constitution permet le risque. Plutôt que de multiplier les contraintes et les contestations potentielles de toutes les activités humaines, ne vaudrait-il pas mieux développer la gestion des risques ? Le nucléaire, par exemple, est dangereux (mais incontournable), mais on sait gérer les risques du nucléaire : il faut s’en donner les moyens ! Le transport aérien ne pardonne aucune négligence, mais des accidents peuvent arriver : faut-il supprimer l’avion ? Cet avion, il est sans doute pollueur, mais n’est-il pas indispensable pour les liaisons intercontinentales commerciales comme touristiques ? Doit-on le bannir à la demande de quelques « Verts » dogmatiques qui exciperont de l’article premier de la Constitution ? L’élevage, en général, est producteur de gaz à effet de serre : faudra-t-il le contingenter, avant de le supprimer… pour, soi-disant, sauver la planète ?
Toutes ces considérations valent-elles la mise en place d’un plébiscite présidentiel ?
Franck Buleux