ASSEMBLÉE NATIONALE : LE SCÉNARIO D’UNE DISSOLUTION

ASSEMBLÉE NATIONALE : LE SCÉNARIO D’UNE DISSOLUTION

 

La question de la date

 

Il est politiquement impossible de dissoudre l’Assemblée nationale avant d’avoir achevé le scrutin municipal. Peut-être est-ce une motivation secrète de la volonté de reporter le second tour des élections municipales dès le 28 juin. Le Président de la République aurait alors les mains libres pour dissoudre dès cet automne, l’été laissant le temps de préparer le cas échéant une modification du mode de scrutin. Voilà une raison supplémentaire de tenter de faire annuler le décret qui reportera au 28 juin la date du second tour des municipales.

 

Cette question de date n’est pas une pure question de calendrier. En effet, le temps risque de jouer très vite au détriment d’Emmanuel Macron et de sa majorité, avec le début des procès devant la Cour de Justice de la République contre le gouvernement et devant les tribunaux pénaux contre les hauts fonctionnaires, et avec les premiers effets de la crise économique, sous la forme d’une grande vague de faillites et de licenciements. Ce climat exécrable pourrait être encore durci par des troubles civils permanents, sous la forme du retour du mouvement des Gilets jaunes avec une intensité et violence accrues, ou encore des tensions sur les marchés financiers, en raison des risques de défaut de l’Etat italien et des autres Etats d’Europe du sud.

 

Un coup de poker d’Emmanuel Macron pour reprendre la main

 

Dans un contexte aussi dégradé, Emmanuel Macron pourrait être tenté de dissoudre l’Assemblée, à la fois pour montrer sa volonté affichée de donner la parole au peuple et pour désamorcer une situation de plus en plus explosive. On voit mal autrement quelle raison (hormis, peut-être, les éventuelles ambitions d’Edouard Philippe, susceptibles de faire vivre à Emmanuel Macron ce qu’il a fait vivre à François Hollande ?) pourrait lui faire renoncer, deux ans avant l’élection présidentielle, à la confortable majorité dont il dispose aujourd’hui – avec ses alliés, puisque son mouvement LREM ne dispose plus depuis peu de la majorité absolue à lui seul – ce qui, bien qu’étant sans conséquence sur les votes de l’Assemblée, constitue un fait significatif du point de vue politique.

Emmanuel Macron pourrait profiter d’une telle décision pour modifier le mode de scrutin aux élections législatives en y introduisant une dose de proportionnelle. Comme un tel projet serait conforme à ce qu’il avait annoncé antérieurement, il serait plus difficile à ses adversaires de le critiquer sur ce terrain, étant dit que les modalités d’application de la réforme seraient déterminantes : 20 % de sièges attribués à la proportionnelle (comme Emmanuel Macron l’avait déclaré), moins ou davantage ? Et selon quelles modalités[1] ? Un tel jeu est toujours très hasardeux, comme le montre l’histoire électorale de la France[2] – et ce d’autant plus que, les circonscriptions actuelles devant probablement rester l’échelon de base du scrutin (faute de temps pour les modifier, et aussi pour ne pas risquer une accusation de charcutage électoral, qui viendrait s’ajouter au lourd passif du gouvernement), il est beaucoup plus difficile d’effectuer des prévisions dans un tel cadre ; même si le département était retenu pour circonscription électorale, les prévisions demeureraient difficiles. Une telle réforme pourrait en tout cas atténuer les conséquences d’une défaite électorale pour LREM, voire même lui conserver de justesse la majorité avec ses alliés et peut-être, au-delà, avec EELLV (probablement renforcé par la proportionnelle partielle) et ce qui reste du Parti socialiste (cf. annexe infra). Le groupe LR pourrait en ressortir amoindri, et en tout cas certainement pas grandi. Quant à LFI et au RN, ils seraient les grands gagnants, mais pas au point de constituer un réel danger au sein de l’Assemblée, tant que la dose de proportionnelle ne serait pas trop élevée (cf. note 1 supra) ; l’un comme l’autre resteraient probablement isolés. Même si le RN et LR détenaient ensemble une majorité de sièges – ce qui est improbable –, ils ne pourraient de toute façon pas s’entendre pour former ensemble une majorité gouvernementale, sous peine de l’éclatement de l’un des deux groupes. On verrait alors la partie la plus modérée du groupe LR sinon s’allier à LREM, du moins éviter de trop lui nuire ; cela pourrait aller jusqu’au soutien sans participation à un gouvernement minoritaire LREM-UDI-EELV-PS.

Si Emmanuel Macron réussissait un tel pari, il augmenterait ses chances de l’emporter à la prochaine élection présidentielle. Avant toute chose, il conforterait sa position face à d’éventuels challengers de son propre camp, dont en premier lieu Edouard Philippe, qu’une dissolution suivie de la mise en place d’un gouvernement de coalition permettrait de remplacer opportunément.

Ensuite, le renforcement réel mais limité du RN à l’Assemblée nationale permettrait à Marine Le Pen de s’affirmer davantage face à Emanuel Macron, sans pour autant devenir trop dangereuse. Emmanuel Macron conforterait donc la situation de face-à-face entre Marine Le Pen  et lui, face-à-face qui lui convient très bien en raison du manque de crédibilité de son adversaire. Emmanuel Macron garde en outre contre elle l’arme judiciaire, qui lui permet de la frapper en modulant les coups, selon le résultat qu’il cherche à atteindre : il pourrait demander au Parquet de prononcer la liquidation du RN (décision qui pourrait être de toute façon impossible à éviter, tant les finances du mouvement sont catastrophiques), tout en s’abstenant de prononcer une peine d’inéligibilité contre sa Présidente. Elle pourrait donc envisager de rester en lice pour 2022, mais avec un statut très amoindri.

 

Un jeu qui n’est pas sans danger

 

Le scénario de la dissolution peut être une carte à jouer pour Emmanuel Macron. Mais il ne la risquera probablement que s’il se trouve en très grande difficulté, au point de voir sa réélection risquer de lui échapper. Même avec un scrutin législatif comportant une dose de proportionnelle, LREM courrait assez peu de risques de voir la majorité échapper à une coalition sous sa direction, car ses différentes oppositions sont incompatibles entre elles. Il aurait tort cependant de trop minimiser ce risque. Il aurait encore plus tort de sous-estimer sinon Marine Le Pen elle-même, du moins les mécontentements qui seraient susceptibles de faire se réaliser l’impensable, à savoir sa défaite face à elle, dans l’hypothèse d’un nouveau face-à-face Emmanuel Macron-Marine Le Pen en 2022. Un sondage qui donnerait un tel résultat serait le signe suprême de cette « hollandisation » de Macron dont on commence à parler – puisque l’on oublie trop souvent que le discrédit de François Hollande était devenu tel que deux sondages l’avaient donné perdant (et ce, pour l’un d’eux, à 56 % contre 44 %[3]) face à la Présidente du FN, dans l’hypothèse hautement improbable, certes, où il fût parvenu à se maintenir au second tour.

Bruno North Président du CNIP

 

 

[1] https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/quel-paysage-a-lassemblee-avec-une-dose-de-proportionnelle-1014315

[2] https://www.lepoint.fr/elections-legislatives/scrutin-proportionnel-le-prochain-coup-d-emmanuel-macron-13-06-2017-2134965_573.php#

[3] http://www.lesechos.fr/05/09/2014/lesechos.fr/0203751639368_2017—marine-le-pen-battrait-francois-hollande-au-second-tour-selon-un-sondage.htm